Renault 14. Les coulisses du projet 121 avec Gaston Juchet
Comment concevait-on une automobile dans les années 1970 ? Méthodes de travail, terminologie, outils, dans une vidéo d’époque, Gaston Juchet, le papa de la Renault 14 nous explique tout. C’est aussi l’occasion de comparer avec la façon de faire d’aujourd’hui.
Aujourd’hui, une automobile est en grande partie conçue par ordinateur, avec des casques de réalité virtuelle et de nombreuses maquettes numériques, mais comment les hommes de l’art œuvraient il y a cinquante ans ? Replongeons-nous dans cette époque, avec les commentaires de Gaston Juchet qui a orchestré la naissance de la Renault 14.
La vidéo tirée des archives de l’Institut national de l’Audiovisuel (INA) plante le décor de la manière suivante : « avant de naître dans les usines sous les presses et sur les chaînes, il faut dire que cette voiture a lentement pris forme dans les bureaux d’études et sur les planches à dessin ». Un préambule qui amène Gaston Juchet, qui fut le chef du service style automobile de Renault de 1965 à 1975, à détailler la genèse de la Renault 14. La berline que l’on appelait pas encore compacte est arrivée sur le marché en 1976. Monsieur Juchet précise : « la toute première phase dans l’étude d’une voiture consiste en l’étude de marché, une étude prévisionnelle faite par la direction du produit qui a lieu 5 à 6 ans avant la sortie en série de la voiture ».
Dessins à la gouache, maquettes en pâte à modeler
Dès lors, on se demande quand le style débute-t-il ? Qui intervient, et dans quel ordre ? Gaston Juchet raconte que « le style débute environ six mois après la remise de ce document (NDLR l’étude prévisionnelle) » et d’ajouter, « le premier travail est réalisé par la section architecture avant projet (NDLR : on dirait aujourd’hui l’avance de phase), il s’agit d’un bureau d’étude qui réalise le plan carrossier ». Gaston Juchet qui devint le directeur du style Renault de 1984 à 1987, nous détaille, « le travail de style en lui-même comprend d’abord une phase croquis, phase de recherche assez libre des idées sous forme de perspectives ou de croquis en élévation (NDLR : dessin de plein profil, à l’échelle 1/10e ou 1/5e), les dessins sont réalisés au crayon pastel, à la gouache ». Si les outils ont évolué aujourd’hui et que les designers ont laissé de côté la gouache et les pinceaux au profit de la palette graphique – voir notre vidéo ci-dessous –, la démarche créatrice reste sensiblement la même.
Tout comme le travail main dans la main entre les stylistes et les ingénieurs qui restent de mise aujourd’hui. Gaston Juchet évoque : « une première sélection interne au style est alors opérée afin de débuter la deuxième phase qui est la recherche en volume via des petites maquettes au 1/5e en pâte à modeler. Ce travail dure plusieurs semaines. Le bureau d’étude continue à travailler en parallèle et indique des modifications à faire sur les maquettes. Ces dernières font aussi l’objet d’études aérodynamiques menées en soufflerie où l’on mesure les principales composantes et en particulier la traînée ». Ingénieur aérodynamicien de formation, Gaston Juchet y est particulièrement sensible.
Vient le feu vert de la direction
Si l’on regarde le planning, nous sommes quatre ans et demi avant la sortie du véhicule, soit six mois après la réception de l’étude prévisionnelle. C’est alors que les premières propositions sont faites par le style à la direction générale. Dans cette présentation, il y a des élévations à l’échelle réelle afin que les “patrons de Renault” puissent bien se rendre compte des propositions menées par les stylistes. Gaston Juchet confie que « dans le meilleur des cas, la direction générale choisit l’un des thèmes, le plus souvent elle en choisit deux ou trois ». Il ajoute, « pour les maquettes au 1/5e retenues, tous les points sont relevés et remis au bureau d’étude carrosserie qui va alors tracer au grand plan à l’échelle 1, les grandes lignes de la future voiture. Ces lignes vont servir à l’étude technique de la carrosserie mais aussi pour l’étude des prix de revient, c’est à ce moment que débute aussi l’exécution d’une maquette à l’échelle 1 réalisée en plâtre ».
Le style intérieur éclaté
« Parallèlement, lorsque les grandes lignes du grand plan sont tracées, on commence à matérialiser le poste de conduite et tout l’intérieur de la voiture, la position des sièges, le volant, les commandes, le volume du coffre, l’habitabilité en largeur de la caisse », confie Gaston Juchet. En dehors de la maquette d’habitabilité, Gaston Juchet indique : « il est fait des maquettes de support pour la planche de bord, des panneaux de portes et de sellerie selon la même logique que pour la carrosserie : croquis, et une phase recherche à l’échelle un ». Comparativement à aujourd’hui où le design intérieur est une cohérence d’ensemble avec un mobilier courant dans tout l’habitacle, à l’époque, le travail était nettement plus parcellaire avec des éléments éparpillés. En effet, la tôle de la carrosserie était souvent visible à l’intérieur, et de facto, les contre-portes étaient de simples panneaux rectangulaires encastrés.
L’aérodynamisme avec des bouts de ficelle ?
Lorsque le choix de style est précisé, on fait une maquette au trois-dixième pour l’étude aérodynamique (en bois avec des fils de laine collés à la carrosserie) qui sert à affiner les mesures plus grossières réalisées sur la maquette au 1/5e. Gaston Juchet ajoute : « lorsque les maquettes à échelle 1 sont terminées, une nouvelle présentation à la direction générale est organisée, le plus souvent à l’extérieur, dans la nature. La présentation est étayée d’un certain nombre de documents qui exposent les difficultés techniques rencontrées et aussi une première idée des prix de revient ».
Nous sommes alors deux ans et demi avant le lancement du véhicule, le style est définitivement choisi, la machine Unisurf (NDLR : ce sont les tout premiers débuts de la conception assistée par ordinateur) intervient pour enregistrer tous les points et toutes les courbes de la voiture.Elle va les transposer sur le plan mathématique pour en faire une maquette usinée par une fraiseuse à commande numérique. Le responsable du style Renault ajoute : « c’est la maquette de contrôle de la machine qui devient le master pour le contrôle de l’outillage industriel ».
(NDLR : cette étape cruciale reste d’actualité aujourd’hui ). Gaston Juchet indique également que « pendant ce temps, il a été fait des prototypes roulants qui sont testés au niveau de la sécurité de la tenue de route et des performances ». La Renault 14 a obtenu le grand prix de l’esthétique industrielle, ce qui permet à Gaston Juchet de conclure le reportage par la phrase suivante : « Fonctionnalité et rationalité peuvent engendrer le beau ».
Source: https://cutt.ly/2EOMcvI
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